La théologie contextuelle, une vie créative dans deux espaces de tradition
Post précédant : Passer d'un paradigme événementiel à un paradigme stylistique de missionJ’adore jouer avec la tradition en respectant le passé, mais en lui donnant une touche personnelle pour créer quelque chose d’amusant et de nouveau. Lors de mon mariage, mes hommes d’honneur et moi avons porté des kilts, avec le tartan de ma famille, mais nous sommes également entrés dans l’église sur la musique du thème des Riders of Rohan. Je trouve aussi que jouer de manière créative avec la tradition est une façon utile de réfléchir à la théologie contextuelle. Nous pouvons envisager l’interaction, le dialogue, la danse de vivre au sein de la société moderne et du christianisme comme une vie créative, voire artistique.
Qu’on les appelle des traditions, des structures sociales, des normes ou des constructions, ce sont des façons de penser aux pratiques, croyances et perspectives du monde construit par les dynamiques sociales, formes qui sont prises pour acquises au sein d’un groupe quelconque. Elles ont tendance à être si profondément et si implicitement apprises qu’elles vont de soi; de l’intérieur, elles décrivent simplement la manière dont le monde est, par sa nature, et elles peuvent être indissociables des réalités physiques concrètes qui nous entourent.
Une question de longue date en sociologie est de savoir comment concilier la liberté et le choix individuels, d’une part, et le quasi-déterminisme que les normes sociales peuvent imposer, d’autre part. Michel de Certeau a utilisé la métaphore de la marche en ville pour décrire cette interaction. Le monde physiquement construit de la ville : ses gratte-ciels, ses routes, ses ruelles et ses trottoirs, offre une sélection de choix quant à l’endroit et à la manière de marcher. Nous avons un nombre quasi infini de combinaisons possibles parmi lesquelles nous pouvons choisir, tout en respectant le système construit de la ville : quelle direction, quelle destination, quel mode de transport, quel style. Nous pouvons également ajouter la possibilité de contourner les normes, par exemple en coupant à travers un parking ou une pelouse, et de les enfreindre, en marchant à travers une fontaine sur la place de la ville ou en passant par les portes avant et arrière de la maison d’un voisin. Ces transgressions, petites ou grandes, augmentent encore nos possibilités, tout en augmentant également la probabilité de choquer ou d’enfreindre les normes sociales de ceux qui nous entourent. 1
Bien que non physiques, les normes sociales ont un effet structurant similaire sur nos vies. Les réactions suscitées par Jésus en remettant en question les traditions de sa société – surtout celles des membres puissants de sa société – illustrent bien cela. Jésus a contesté les mauvaises traditions, mais les traditions ne sont pas intrinsèquement mauvaises. Est-il mal de payer la dîme en cumin et en aneth? Non, tant que cela ne mène pas à minimiser la loi morale. Au cours de ses 2000 ans d’histoire, l’Église a créé de nombreuses traditions – certaines fidèles et utiles, d’autres beaucoup moins. Dans l’ensemble, nous appelons souvent cette histoire de La Grande Tradition, qui a inclus d’innombrables formes sociales diverses – des traditions créées – que nous pouvons revendiquer comme notre héritage. Alors que le christianisme est certainement plus qu’une simple tradition, il n’est certainement pas moins qu’une tradition.
En réfléchissant à deux des contextes dans lesquels nous vivons – notre foi et notre culture – en termes de traditions, cela peut nous offrir une métaphore fructueuse pour réfléchir à la vie et à la foi de manière contextuelle. Si nous les considérons tous les deux comme des ensembles de règles et de structures dans lesquelles nous pouvons agir avec créativité, une sélection de modes de vie – anciens, nouveaux et des combinaisons des deux – s’ouvre à nous. En approfondissant notre compréhension des sources et des structures cachées, des règles qui vont sans dire, nos options créatives se multiplient.
Un des normes les plus fortes et les moins remises en question de la société occidentale est l’« authenticité », une idée aux significations paradoxales. D’un côté, cela signifie être fidèle à son moi unique,2 et de l’autre côté, être fidèle à un idéal, souvent en reflétant un passé parfait imaginé, ou un futur parfait imaginé. Les deux façons de penser l’« authenticité » sont faciles à identifier dans la tradition chrétienne : le concept luthérien de vocation peut décrire une manière individuelle et particulière d’être humain ; la doctrine de l’imago dei parle d’un idéal d’être humain. Les mouvements de réforme répétés qui ponctuent notre histoire cherchent souvent à reprendre une forme originelle de communauté, ou à en construire une à l’image du futur royaume eschatologique.
Une autre norme de la société actuelle, ou peut-être plus précisément une valeur, est de mener une vie holistique. Cela est étroitement lié à l’authenticité, mais, encore plus que l’authenticité, ses racines plongent profondément dans la Grande Tradition. Depuis la vie du peuple d’Israël, jusqu’à la loi renouvelée du Sermon sur la montagne, en passant par le chapitre 2 des Actes, les ermites du désert, les mouvements monastiques, le piétisme et les mouvements de sainteté personnelle, le fil conducteur de l’unité et de l’intégrité de la foi pour toute la vie est bien présent.
Voici un endroit où la tradition chrétienne et la tradition occidentale contemporaine se rejoignent, offrant un mode de témoignage convaincant. Un mode de vie chrétien fidèle et holistique peut à la fois respecter et subvertir nos traditions culturelles. Nous pouvons adopter une forme culturelle sans adopter une valeur culturelle. Si la forme de la tradition culturelle contemporaine, un mode de vie holistique, peut être véritablement chrétienne, les valeurs culturelles de la primauté et du pouvoir de soi ne le sont pas. Adopter la première tout en résistant à la seconde peut être non seulement beau, mais encore artistique.
Nous devons être prudents ici. Nous ne transgressons pas les normes juste parce que nous le pouvons, mais pour que nous, en tant que communauté chrétienne, puissions devenir le signe du Royaume : notre manière d’être dans le monde, notre mode de vie, préfigurent la réconciliation de toutes choses en Christ.
Si vivre dans deux espaces culturels est une vie créative et artistique, alors plutôt que d’opposer la foi et la culture, faisons-les chanter, parfois en harmonie, parfois en contrepoint, parfois en dissonance – mais toujours de manière à refléter la beauté du Royaume de Dieu.
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De Certeau a comparé les structures d’une ville et ses règles associées à un langage, qui a un vocabulaire, une grammaire, une syntaxe, etc. Comme une ville pour la marche, le langage détermine comment nous parlons, mais pas ce que nous disons, du moins pas de manière forte. Le langage a également des règles que nous pouvons respecter, contourner ou enfreindre pour servir nos objectifs en communication. ↩︎
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Une idée reçu du romantisme du 18e siècle ↩︎